La finance mondiale peut et doit changer – mode d’emploi

 — Feb. 12, 200912 févr. 2009

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[Nouvelles COE • Juan Michel] Alors que le système financier mondial vacille, de nombreux militants de la société civile et des Eglises voient la crise actuelle comme une chance pour pousser à la mise en œuvre de réformes radicales depuis longtemps nécessaires. Ils pourront s’atteler à cette tâche dès début avril, lors d’une réunion du G20 à Londres.

Pour une fois, les défenseurs de la justice économique semblent ne pas être les seuls à reconnaître que la finance mondiale a besoin d’être réformée. La fragilité des bourses du monde entier et les faillites de grandes banques ont convaincu les gouvernements des pays riches de prendre les choses en main, en particulier à cause des répercussions qu’a la crise financière sur l’économie “réelle,” qui se traduisent par des licenciements massifs dans des entreprises touchées par le resserrement du crédit et des marchés de la consommation.

“Mais il existe une différence fondamentale de méthodologie entre ceux qui cherchent à refonder le capitalisme financier et ceux qui pensent que l’économie mondiale a besoin d’un nouveau paradigme,” affirme l’économiste brésilien Marcos Arruda. “Ce qu’il faut, ce n’est pas simplement quelques règlements par-ci par-là, mais de véritables solutions de remplacement au système actuel, de façon à entraîner une transformation radicale.”

Marcos Arruda était l’un des intervenants ayant présenté une nouvelle architecture financière internationale lors d’une table ronde organisée par le Conseil œcuménique des Eglises (COE) pendant le Forum social mondial (FSM) qui s’est tenu récemment à Belém, au Brésil.

Ce Forum est le plus grand rassemblement international du mouvement altermondialiste, qui a pour but de résister à la mondialisation économique par l’exploitation en proposant d’autres formes d’ordre économique et social fondé sur des valeurs éthiques.

La quête de solutions de remplacement viables à l’actuel système financier international fut l’une des principales questions abordées lors du Forum, qui s’est tenu à Belém, au nord-est du Brésil, jusqu’au 1er février. Rassemblant quelque 130 000 militants sociaux de plus de 140 pays sur six jours aux portes de l’Amazonie, le Forum a également mis l’accent sur la crise environnementale et sur ce qu’ont à dire les peuples autochtones.

Viser le cœur du “capitalisme casino”

“Toute solution de remplacement crédible au système financier actuel doit remplir deux conditions préalables fondamentales,” explique Martin Gück, de Kairos Europe, un réseau de mouvements de justice liés à l’Eglise. Martin Gück était également l’un des participants de la table ronde organisée par le COE à Belém.

“D’une part, elle doit remédier au déséquilibre de pouvoir dans le système financier actuel, qui favorise des acteurs privés et publics – les banques et les institutions financières internationales – qui n’ont aucune légitimité démocratique et ne rendent aucun compte à la société. D’autre part, la domination de la finance sur l’économie ‘réelle’ doit prendre fin.”

Autrement dit, ce qu’il faut prendre pour cible, c’est le cœur de ce que l’on pourrait appeler “le capitalisme casino.” Pour chaque dollar d’une transaction réalisée dans l’économie “réelle” – où les biens et services sont échangés contre de l’argent – 35 dollars sont utilisés pour des transactions d’une nature purement “virtuelle,” au moyen d’instruments financiers toujours plus complexes et toujours plus éloignés des produits réels.

Elément indissociable, le principe de la valeur actionnariale doit être inversé. Résumé par Milton Friedman, l’un des pères de l’économie néolibérale, ce principe soutient que “la seule responsabilité d’une entreprise est d’augmenter les profits de ses actionnaires.”

Selon Martin Gück, “il n’est plus acceptable que seuls les intérêts des actionnaires – y compris la maximisation des profits à court terme – soient pris en compte lors de la prise de décision des entreprises multinationales.”

Des solutions à une crise systémique

A Belém, une vingtaine d’organisations de la société civile et de réseaux se préoccupant de justice économique ont pu se mettre d’accord sur un certain nombre de propositions concrètes visant à réformer le système financier actuel. Aussi complexe que soit le système, les solutions proposées sont également variées et, parfois même, de nature relativement technique.

Cependant, la base est claire: “Mettre les Nations Unies au centre de la résolution de la crise financière,” bien qu’il soit nécessaire de réformer et démocratiser l’organisation, explique Marta Ruiz, du Réseau européen sur la dette et le développement (Eurodad), qui était la porte-parole de la réunion sur la crise financière à Belém.

Au nombre des propositions clés figurent notamment la mise en place de mécanismes permettant le contrôle des flux internationaux de capitaux, un système monétaire international fondé sur des monnaies de réserve régionales, le contrôle par les citoyens des banques et des institutions financières, la généralisation de l’impôt progressif aux niveaux national et international, l’interdiction des fonds spéculatifs et des marchés non réglementés, l’éradication de la spéculation sur les produits primaires, notamment la nourriture et le démantèlement des paradis fiscaux.

A Belém, les militants se sont accordés pour dire que la crise n’est pas simplement financière, mais systémique, et qu’elle englobe de nombreuses crises, qui touchent l’environnement, les structures sociales et politiques, ainsi que l’approvisionnement en nourriture et en énergie. En raison de cette complexité, les solutions ne sauraient être de nature exclusivement financière.

“Derrière la crise financière il faut que nous prenions en compte la crise écologique,” affirme Bertille Darragon, une militante écologiste française. Selon elle, il faut abandonner le modèle de la croissance économique illimitée et commencer à penser en termes de décroissance, c’est-à-dire la réduction de la consommation des ressources et de l’énergie, en commençant par les plus riches, mais en incluant les classes moyennes du Nord et du Sud.

“Nous devons opérer un changement de mode de vie,” approuve Wilfried Steen, pasteur protestant et directeur exécutif du Service des Eglises évangéliques en Allemagne pour le développement (EED). “En Allemagne, notre niveau de consommation nécessiterait 1,3 planète pour être durable. Cela doit changer. D’un point de vue théologique, chaque être humain a sa place dans la création de Dieu, donc chacun a le même droit de vivre et de consommer.”

Les autres modèles de développement doivent être “menés par le peuple, motivés par la demande locale et fondés sur l’intégration régionale,” affirme Percy Makombe, du Réseau pour la justice économique de l’Association des conseils chrétiens d’Afrique australe (FOCCISA).

De l’avis de Percy Makombe, les pays africains devraient se “désolidariser” des systèmes financiers et commerciaux mondiaux, en rejetant les accords bilatéraux et de libre échange et même en renonçant à toute nouvelle aide des pays développés.

“Nous dépendons énormément de l’aide étrangère,” déclare Percy Makombe. “Or comme elle passe à travers les institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, pour que nous puissions recevoir cette aide, nous sommes contraints d’ouvrir nos marchés et de mettre en péril notre souveraineté alimentaire, si bien qu’en fin de compte, on nous siphonne les richesses de l’Afrique.”

Réforme au sein du système et réforme du système

Puisqu’il est évident que la finance internationale ne peut être remaniée du jour au lendemain, la question qui se pose est: sous quelle forme les changements interviendront-ils et d’où proviendront-ils? Deux éléments permettent de répondre à cette question.

D’une part, il est impératif de “créer de nouvelles formes ‘d’économie solidaire’ sur la base de la collectivité au sein de l’ancien système,” explique Marcos Arruda, “des formes qui ne soient pas motivées par une logique de profit individuel et qui soient durables d’un point de vue environnemental et intergénérationnel.”

D’autre part, “nous devons nous assurer que nos propositions de remplacement soient assimilées et prises au sérieux,” affirme Rogate Mshana, un économiste tanzanien travaillant au Conseil œcuménique des Eglises.

Même s’ils pensent que le “G20” (les huit pays les plus industrialisés de la planète et 12 des plus grandes économies émergeantes) n’est pas vraiment en mesure de mettre en œuvre une transformation radicale, un grand nombre des militants réunis à Belém chercheront à promouvoir leurs idées lors de la réunion des dirigeants du G20, début avril.

Selon Rogate Mshana, “personne n’a de plans concrets pour un nouveau modèle de finance internationale. Mais tout comme le système actuel n’est pas le résultat d’un plan concret mais d’un processus élaboré étape par étape à travers le temps, nous devons faire pression pour que des réformes soient mises en place à différents niveaux afin de permettre la transformation. Les organisations de la société civile et les Eglises du monde entier ont une contribution majeure à apporter à cet égard.”

(*) Juan Michel est le responsable des relations du COE avec les médias.

Documents audio: extraits des interviews d’experts cités dans cet article (en français, anglais et espagnol)
Forum social mondial – galerie de photos
Appel d’ONG réunies à Belém sur la crise financière
Travaux du COE sur la mondialisation économique
Présence œcuménique au FSM 2009 (en portugais)
Site officiel du Forum social mondial

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