L’œcuménisme – ou l’art de faire du vélo entre cette vie et la prochaine
— Nov. 9, 20079 nov. 2007
[Juan Michel – COE] “L’unité de l’Eglise, c’est comme la bicyclette: si on s’arrête, on tombe.” Cette affirmation provocante a été lancée par le missiologue coréen Wonsuk Ma aux participants du Forum chrétien mondial, qui s’est tenu du 6 au 9 novembre à Limuru, prés de Nairobi, Kenya.
Dans un exposé fondamental présenté le deuxième jour de cette réunion, M. Ma a examiné l’évolution de l’unité et de la mission chrétiennes au cours du dernier siècle, affirmant que dans la mission, la manière apparemment contradictoire d’insister sur “la vie avant la mort” et sur “la vie après la mort,” qui a divisé les chrétiens “traditionnels” et “évangéliques” pendant des décennies représentent deux tendances en fait complémentaires et indispensables l’une à l’autre.
L’exposé de M. Ma a été jugé à la fois provocant et stimulant par bien des participants à ce Forum, qui rassemblait quelque 240 représentants de haut niveau d’Eglises protestantes, anglicanes, catholiques, évangéliques, pentecôtistes et autres venus du monde entier pour faire progresser l’unité chrétienne et examiner les défis qui se posent à tous. On a pu dire de ce Forum qu’il constituait une rencontre de traditions chrétiennes sans précédent dans sa diversité.
M. Ma, théologien pentecôtiste coréen et directeur du Centre d’études missionnaires d’Oxford (Royaume-Uni), fonde sa réflexion sur son cheminement personnel, se présentant comme un chrétien de la deuxième génération qui a grandi dans un milieu hostile à l’expression de sa foi.
Tandis que “la vie avant la mort” vise avant tout “la création d’une société équitable,” déclare M. Ma, la “vie après la mort” met l’accent sur “le travail de ‘sauver les âmes’.” Pour ceux qui se réclament de la première tendance, toutes les entraves à l’instauration de la justice constituent autant de thèmes missionnaires, et leur sympathie à l’égard des victimes de la société les incite à participer à leurs luttes. Pour les tenants de la seconde tendance, l’important est d’évangéliser et d’implanter des Eglises.
Pourtant, affirme M. Ma, “ces deux approches sont complémentaires,” car la proclamation de l’Evangile “doit inclure l’aspect terrestre comme le céleste.” Dans la mesure où “chaque ‘camp’ détient une partie de la vérité, ni l’un ni l’autre ne représente l’entière vérité et l’un ne saurait être complet sans l’autre.”
“Bien que le trait soit un peu caricatural, il est certain que ces deux tendances existent,” déclare Clifton Kirkpatrick, pasteur de l’Eglise presbytérienne des Etats-Unis et président de l’Alliance réformée mondiale, en réponse aux commentaires de M. Ma. “Mais dans les deux ‘camps’, nous sommes en train de découvrir l’Evangile dans son intégralité et il est vrai que nous avons besoin les uns des autres.”
Le pasteur Geoff Tunnicliffe, directeur international de l’Alliance réformée mondiale, est d’accord avec l’affirmation de M. Ma “d’une manière générale, dans la mesure où il définit clairement les approches,” mais il estime qu’en ce qui concerne les évangéliques, cette description n’est valable que pour le début du 20e siècle. Auparavant, déclare-t-il, ils s’étaient engagés dans des questions de société, comme l’abolition du commerce des esclaves. Plus récemment, à la suite du Congrès de Lausanne sur l’évangélisation dans le monde, en 1974, les évangéliques ont eu le sentiment qu’ils “avaient la permission de s’engager dans des questions en rapport avec ‘la vie avant la mort’.”
Selon M. Ma, qui déclare appartenir à la tendance stricte du “camp évangélique,” celui-ci à “consacré son énergie à ‘convertir tout le monde’ à notre forme de spiritualité, s’adressant donc aussi bien à d’autres chrétiens qu’à des non-croyants.” Outre qu’il s’est laissé aller à “une évangélisation agressive, qu’on a pu qualifier de ‘vol d’ouailles’, ce camp a aussi consacré “beaucoup de temps et d’énergie à essayer de déterminer qui en fait partie et qui est exclu.”
Le pasteur Tunnicliffe reconnaît que “cette observation est valable, dans la mesure où la plupart des ressources missionnaires sont destinées à des pays chrétiens et non pas à ceux où ne se trouvent pas d’Eglises,” mais il préfère formuler le problème en termes de liberté religieuse: “Les gens ont le droit de faire leurs choix et s’ils trouvent quelque chose d’authentique qu’ils n’ont pas rencontré dans leur propre tradition, il ne faut pas assimiler cela à un ‘vol d’ouailles’.”
D’un autre côté, affirme M. Ma, le camp “œcuménique a, non sans ironie,” créé un environnement qui “fait qu’il est tout simplement impossible pour certaines Eglises de rejoindre ce réseau.” On peut donc dire que ce faisant, ce camp a lui aussi établi une distinction “entre ceux qui en font partie et ceux qui en sont exclus.”
“La manière dont le mouvement œcuménique définit le but de l’unité visible en Jésus Christ fait qu’il est difficile pour certaines Eglises qui se réclament d’une théologie plus évangélique de se joindre à lui; et le fait est que certaines de nos attitudes peuvent aussi constituer des obstacles,” a reconnu le pasteur Kirkpatrick. “C’est pourquoi nous devons être ouverts aux choses nouvelles que Dieu accomplit, sans renoncer à l’engagement œcuménique fondamental en faveur de l’unité visible donnée par Jésus Christ.”
Dans son exposé, M. Ma compare l’histoire des deux “camps” à celle de deux enfants d’une même famille qui ne se seraient jamais rencontrés, jusqu’à ce qu’aujourd’hui, à la suite d’un long processus “de réflexion autocritique et de prise de conscience croissante de l’autre, les deux se rapprochent bien plus qu’il n’aurait été possible il y a quelques décennies.”
Le pasteur Kirkpatrick reconnaît l’existence d’une “convergence croissante, du fait que les deux ‘camps’ ont l’un et l’autre redécouvert l’appel de l’Evangile au salut personnel et à la justice sociale.”
Pour sa part, le pasteur Tunnicliffe est plus sceptique: “Je ne suis pas convaincu que ce soit un phénomène mondial. Des entretiens fructueux se déroulent à certains niveaux, mais la base a encore un long chemin à parcourir, et dans les deux camps subsistent des préjugés et des divergences profondes sur des questions fondamentales.”
M. Ma estime que les années à venir verront “les cyclistes de l’unité chrétienne” affronter des défis majeurs. “D’une part, il y aura davantage de raisons de voir les divergences se creuser, mais d’autre part la nécessité fondamentale et urgente d’une collaboration de toute l’Eglise se manifestera toujours plus.”
Quoi qu’il en soit, M. Ma estime que des occasions telles que le Forum chrétien mondial sont susceptibles de favoriser “une œcuménicité authentique en combinant une koinonia ouverte, un culte rempli de l’Esprit et une volonté véritable de discerner ce que le Seigneur accomplit dans les différentes communions.”
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Juan Michel, responsable des relations du COE avec les médias, est membre de l’Eglise évangélique du Rio de la Plata, Buenos Aires, Argentine.